Intervention SNFOMTSIE au Congrès FEC FO (Octobre 2021 – Albi)

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Intervention de Régis BADEL au congrès FEC-FO - Albi Octobre 2021

Je suis médecin du travail mandaté par le Syndicat National FO des Médecins du Travail et des Services InterEntreprises afin de vous faire part de notre analyse concernant la récente réforme de la Médecine et de la Santé au Travail.

En effet, après la signature, de l’ANI sur la santé au travail du 10 décembre 2020, la publication de loi du 2 août 2021 dite « pour renforcer la prévention en santé au travail » et qui était censée mettre cet ANI en musique, en a dévié, par à coups d’arbitraire successifs.

Si le texte apporte des améliorations notables en matière de suivi des expositions professionnelles ou de prévention de certains risques, quelques aspects de cette loi nous inquiètent tout particulièrement et nous souhaitons ici vous alerter :

  • En premier lieu, si le rôle central du médecin du travail est réaffirmé, rien n’est prévu pour  pallier à la chute de la démographie médicale dans cette spécialité (diminution constante de 4% par an du nombre de médecins du travail) ni pour en accroitre son attractivité (c’est la dernière spécialité choisie par les jeunes médecins à l’internat depuis plus de 5 ans). Moins de médecins du travail c’est démanteler les droits des salariés contenus dans le code du travail en mettant en péril leur suivi individuel en santé au travail.
SNFOMTSIE_2021_Albi_MB_RB copie

Les représentants du SNFOMTSIE au congrès d’Albi
(à G : R. BADEL, au centre Christine Yamani, à D : Marius BAUDRY)

  • Ensuite, de nouvelles mesures viennent dévier le rôle des services de santé au travail dont la mission est d’éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail. Cette mission initialement « exclusive » devient désormais une mission « principale »…laissant craindre l’apparition dautres missions qui viendront encore amoindrir le suivi individuel des salariés, et risquent de faire perdre de vue un aspect essentiel des risques professionnels : la responsabilité de l’employeur en matière de santé au travail.

Prenons l’exemple de quelques articles, encore soumis à décrets et qui méritent tout notre vigilance :

  • l’article 7 qui élargit les missions des services de prévention et de santé au travail à des actions de promotion de la santé sur le lieu de travail, dont des campagnes de vaccination et de dépistage, risque de détourner au profit de la santé publique les questions d’organisation et de conditions de travail. 
  • l’article 21 qui prévoit le déploiement des pratiques médicales à distance (télémédecine) pour le suivi des travailleurs met au contraire en danger leur santé. Comment imaginer une visite de reprise en téléconsultation pour un cariste qui vient d’être opéré d’une hernie discale ? Il ne peut s’agir là que d’un mode dégradé d’exercice confinant le médecin du travail à émettre des hypothèses sans pouvoir les vérifier cliniquement, puisqu’il ne peut pas réaliser d’examen médical. De plus, de nouveaux logiciels médicaux et des cabines de téléconsultation font leur apparition. Sous l’entier contrôle des directions des services, leurs algorithmes vont assurer le pré-remplissage des dossiers médicaux à partir des auto-questionnaires renseignés par les travailleurs. Inexorablement, ils tendent ainsi à s’insinuer voire à remplacer le colloque singulier entre le médecin du travail et le salarié dans une logique de rentabilité du temps médical.
  • l’article 27 prévoit, lui, un rendez-vous de liaison entre le salarié et l’employeur qui   serait théoriquement destiné à informer un salarié en arrêt maladie de longue durée qu’il peut bénéficier d’une visite de pré-reprise et d’actions de prévention de la désinsertion professionnelle. En pratique, il conviendra de s’assurer que cet entretien ne s’apparente pas à un rendez-vous de contrôle patronal uniquement destiné à protéger juridiquement l’employeur. Organisé sans la présence du service de santé au travail, ce rendez-vous ne doit pas servir de prémices à un licenciement pour inaptitude.
  • les articles 8 et 28 instaurent les cellules « de prévention de la désinsertion professionnelle ». Si le maintien en emploi est une préoccupation permanente du médecin du travail, ces cellules, font toutefois craindre une dérive vers un repérage des salariés malades en risque d’inaptitude, par l’interaction, dans des conditions « à déterminer par décret », entre l’assurance maladie et les services de santé au travail. Soyons vigilants à ce qu’elles ne s’apparentent pas à un contrôle des arrêts de travail, la maladie devenant alors synonyme de « désinsertion professionnelle » ! De plus, ce « repérage » n’est assorti d’aucune obligation pour l’employeur de reclassement dans l’entreprise : les garanties d’arbitrage de l’inspecteur du travail, supprimées par la loi « travail » de 2016 ne sont nullement rétablies.
  • l’article 31quant à lui, organise dans les zones désignées par les ARS comme déficitaires en médecins du travail, l’arrivée du « médecin praticien correspondant ». Ceci laisse sous-entendre tout d’abord qu’il n’existe pas de pénurie dans les autres zones, ce qui est une véritable hérésie lorsque l’on regarde la démographie médicale déclinante généralisée à l’ensemble du territoire pour la médecine du travail. Ensuite, après les infirmiers en santé au travail, qui ne peuvent pas émettre d’avis s’imposant à l’employeur, l’existence même de ce médecin praticien correspondant dévalorise voire nie la spécificité de la médecine du travail et par là même, détruit le code du travail par la santé. Ce médecin de ville qui aura suivi une formation à minima mais qui n’aura aucune connaissance ni de l’entreprise ni des postes de travail et qui ne pourra pas se rendre en milieu de travail, contribuera pourtant au suivi en santé au travail des salariés. A l’heure où la démographie médicale est également préoccupante pour la médecine de ville : c’est incompréhensible ! 
  • Rappelons ici que seul le médecin du travail diplômé et qualifié est un salarié protégé par linspection du travail : cest un point essentiel, héritage de la loi de 1946 : pour les salariés, la médecine du travail est un droit lié à leur contrat de travail, et le reste encore ! Seul le médecin du travail a accès à l’entreprise et aux différents postes de travail garantie de la protection des travailleurs. L’action du médecin du travail se situe au centre de la relation entre l’homme et son travail. Qui d’autre que le médecin du travail est mieux fondé à faire le lien entre la santé du salarié et ses conditions de travail ? A l’heure où les risques psycho-sociaux explosent, est-il vraiment judicieux d’éloigner encore davantage les salariés du médecin du travail ? Comment ce dernier pourra-t-il ainsi éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ? Autant de questions qui vont nécessiter toute notre attention au moment de la publication des décrets. D’autant plus que depuis la « loi travail » de 2016 et l’intervention des prud’hommes en lieu et place de l’inspection du travail, les avis du médecin du travail sont moins protégés.

Alors pour conclure :

Oui, les lois successives, depuis plus de 10 ans, ont éloigné le médecin du travail des salariés, et l’ont mis de plus en plus sous la pression des employeurs. 

Néanmoins, la déontologie médicale et le code du travail font que le médecin est là pour protéger la santé et le travail des salariés (et non pour faciliter leur licenciement). 

La loi n’a pas abrogé la déontologie médicale ! Elle n’a pas abrogé non plus le fait que la médecine du travail est un droit des salariés lié à leur contrat de travail ! 

La médecine du travail est encore obligatoire aujourd’hui, alors organisons-nous pour la défendre !  

L’article R.4624-34 du code du travail prévoit la possibilité pour un travailleur de rencontrer le médecin du travail sur simple demande. Ne l’oubliez pas et rappelez-le autour de vous ! En effet, nous l’avons vu, la difficulté pour un travailleur d’accéder au médecin du travail est un problème qui s’amplifie notamment dans le contexte des pathologies en lien avec les risques psycho-sociaux. 

Enfin, en tant qu’élus du personnel, n’hésitez pas à vous rapprocher de votre médecin du travail pour l’informer des risques présents dans votre entreprise et des possibilités d’aménagements de postes, dans l’intérêt des salariés et de leur santé. Ne le laissez pas, isolé et débordé, sous la pression de l’employeur.

Les contacts réguliers entre médecins du travail et délégués syndicaux étaient naturellement organisés dans le cadre des CHSCT. Ils ont été amoindris par la CSSCT, c’est la raison pour laquelle nous revendiquons la restauration des CHSCT !

Merci pour votre attention.