L’analyse de la proposition de loi Lecocq, Grandjean, Castaner et autres députés LREM du 23 décembre 2020, qui devrait être promulguée « au plus tard » le 31 mars (dans l’urgence donc !) révèle, au simple aperçu de ces dates, une volonté d’écourter les discussions et les réactions organisées des salariés, en profitant du confinement, du couvre-feu et autres mesures « antivirales ».
D’autre part, sa rédaction laisse place à toutes les manœuvres, puisque beaucoup de précisions doivent être apportées ultérieurement par des décrets.
Les dangers évidents de certains aspects de ce projet de loi méritent d’être soulignés.
- Dossiers médicaux et secret médical (art. 11 à 13) :
– Le dossier médical partagé (DMP) concerne les soins médicaux. Son contenu est la propriété exclusive du patient (salarié ou non). Médecins du travail et médecins traitants n’ont pas attendu la loi pour communiquer entre eux, par l’intermédiaire du salarié, et dans son intérêt exclusif, dans le cadre d’une relation de confiance, sur les données médicales indispensables, dans le respect de la déontologie (article 50 : « faciliter pour le malade l’obtention des avantages sociaux auxquels son état de santé lui donne droit »). Or, le salarié change de médecin du travail chaque fois qu’il change d’employeur, et là, c’est de sa vie privée qu’il s’agit. Un simple « clic » a-t-il valeur de consentement pour autoriser l’accès du DMP au médecin du travail ? Son refus entrainera-t-il une suspicion ? Mieux vaut, sans doute, que cette question ne lui soit pas posée. De toute manière, ce n’est pas l’accès au DMP qui va revaloriser la médecine du travail.
– Dossier médical santé au travail (DMST) : il faudrait s’assurer en premier lieu de la séparation stricte des données administratives (dates de visites, etc.), des données liées au poste et des données médicales (accessibles au seul médecin et à l’infirmier), ce qui est loin d’être le cas actuellement selon les logiciels informatiques employés par les services.
– Le numéro d’identification national pose la question qu’il ne soit pas possible d’interconnecter les fichiers avec d’autres, ce qui n’est nullement garanti.
La finalité des dossiers médicaux n’est pas de faire en premier lieu des statistiques. Il s’agit là d’un sujet très complexe qui ne peut être réglé dans la précipitation.
- Maintien dans l’emploi (art.14 et surtout 18) :
– Art.14 : travail en réseau pour « identifier des situations », sous entendant la notion de signalement. Comment ? Par qui ? Et l’avis du salarié ? Il s’agit le lui proposer « un plan de retour à l’emploi ». Mais vu l’article 18, la proposition est aux mains de l’employeur.
– Art.18 : rendez-vous de pré-reprise avec l’employeur, et « le cas échéant » le SPSTI : il ne s’agit plus d’une « visite de pré-reprise » avec le médecin, mais d’un rendez-vous de pré-reprise avec l’employeur, donc d’une convocation du salarié par l’employeur pendant son arrêt de travail, en vue d’anticiper la reprise, au besoin par un avis médical, qui sera, alors, demandé !
On n’est pas très loin d’un contrôle patronal de l’arrêt de travail.
D’autre part, l’avis médical (qui serait demandé « le cas échéant ») est court-circuité par l’employeur. Actuellement, c’est l’avis médical qui permet de faire des propositions (dictées exclusivement par l’état de santé du salarié, et non par les besoins de l’entreprise), propositions auxquelles l’employeur doit répondre.
Il y a là, clairement, une remise en cause du code du travail.
Il est nécessaire ici de rappeler, à propos des avis des médecins du travail que, si les avis d’inaptitude augmentent (car les conditions de travail se détériorent), les demandes d’aménagement de postes sont quatre à cinq fois plus importantes, mais on ne connait malheureusement pas toujours la suite qui leur est donnée : très souvent, refus de l’employeur et licenciement. Les « visites médicales de pré reprise » sont à l’origine de la plupart des demandes d’aménagements de postes, et doivent être préservées et développées. Si c’est l’employeur qui gère les « rendez-vous de pré-reprise », le risque de licenciement, ou de reprise « sous pression », serait majoré pour le salarié.
- Attractivité de la santé au travail :
– Télémédecine (art.15) : il est tentant, à l’occasion de la crise du covid, de promouvoir et de banaliser la télémédecine comme un mode de fonctionnement habituel et normal. Si elle peut (actuellement) rendre quelques services (éviter les déplacements…) c’est un mode de fonctionnement dégradé, perturbant la communication et interdisant l’examen médical. La téléconsultation ne peut être utilisée que pour des situations à priori simples, même si on ne peut jamais présumer qu’un examen médical ne sera pas nécessaire. Elle n’est pas possible pour beaucoup de salariés pour des raisons techniques : seule la visite « en présence » garantit à tout salarié l’accès au médecin du travail auquel il a droit.
La décision de la pratiquer ou non doit, en tout état de cause, être une décision du médecin avec l’accord du salarié, et non de la direction du service, ou d’un logiciel de convocations automatisé, comme c’est souvent le cas.
– Médecin praticien correspondant (art.21) : son rôle serait d’examiner « au profit des SPSTI » des salariés « à priori sans risques » ce qui revient à figer cette classification des postes (l’absence de risque n’étant jamais évidente) ; cela garantit aussi qu’il n’y aura pas de demande d’aménagement de poste, puisqu’il n’y a pas de risque, donc pas de demande d’avis d’aptitude.
Cette voie ne semble pas intéresser les médecins de ville, et nous le comprenons parfaitement.
Mais elle remet aussi en cause l’existence même de la spécialité de médecin du travail, comme cela a déjà été tenté dans le passé, avec la menace d’une dévalorisation de la spécialité, et de sa désertification par les étudiants : pourquoi faire quatre ans d’internat ?
Non seulement elle ne règle pas la question du déficit médical, mais c’est un véritable danger.
– Infirmiers (art.23) : rappelons que la majorité des infirmiers ont en tout et pour tout comme qualification en santé au travail les 150 heures obligatoires après le diplôme d’Etat. Quelque soit le nom qu’on lui donne (pratiques avancées, ou autre), tous les syndicats de la branche ont revendiqué l’accès des infirmiers à une formation complémentaire (au-delà des 150h obligatoires) qui soit spécifique à la santé au travail, et qui leur permette une progression dans la classification.
Cette revendication, toujours actuelle, a été refusée par le patronat de la branche.
- Divers autres aspects pourraient être cités :
– Absence de retour au CHSCT : même les seuils d’obligation d’avoir une CSSCT (300 salariés) ne sont pas modifiés, alors que de nombreuses entreprises ont des risques évidents, avec des salariés classés en surveillance individuelle renforcée (SIR)
– La certification des SPSTI est une privatisation rampante et, même si l’agrément est maintenu, il est affaibli et marginalisé (le terme de DIRECCTE n’est jamais cité dans la loi) ; les quelques modifications améliorant le paritarisme pèseront peu dans la lourdeur du système.
– Les avis du médecin du travail ne sont pas mieux protégés (au contraire, ils sont contournés par l’employeur via la version du « maintien dans l’emploi » du projet), et les salariés des services intervenant en entreprise (infirmiers, techniciens, ingénieurs), ne sont protégés qu’indirectement, via les protocoles qui les lient au médecin du travail).
Or, ils défendent au quotidien dans les entreprises la prévention primaire comme le maintien dans l’emploi, dans l’intérêt de la santé des salariés, et sont confrontés, dans l’exercice de leur métier, au « risque de déplaire ».
Avec la Confédération FO, le SNFOMTSIE revendique, pour eux, un véritable statut protecteur.
- Etc..
Ce projet de loi ne fait, pour l’essentiel, que consolider la sécurité juridique de l’employeur,
en remettant en cause le code du travail.
Pour le SNFOMTSIE, il est inacceptable en l’état.